Six mois par an – Clara DUARTE

PRÉSENTATION DU LIVRE

« Six mois par an »
Titre original : Cada seis meses
Autrice : Clara DUARTE
Éditeur : Hachette
Parution : 16 Février 2022
Pagination : 448
Prix : 19 €
YOUNG ADULT – FANTASTIQUE

« L’histoire d’Hana et Ro, c’est… une bagarre, un supermarché, beaucoup de spaghettis, une salle de bain écœurante, un piano électronique et beaucoup trop de plantes. C’est bordélique, maladroit, mais c’est aussi beau. Surtout, c’est évident. Ça l’est tellement qu’Hana pense que ça pourrait durer éternellement. Et puis, le 31 août, Hana s’endort paisiblement au côté de Ro. Mais à son réveil, Ro n’est plus là. Disparue, sans laisser de traces. Envolée, sans que personne se souvienne d’elle, sauf Hana. Comme si, au final, Ro n’avait tout simplement jamais existé. Qui est vraiment Ro, cette jeune fille mystérieuse et pourtant pleine de vie ? »

EXTRAIT

CHRONIQUE

Ha Neul – qui se fait appeler Hana – est une jeune espagnole aux origines coréennes. Après une courte exploration de son enfance, où elle se rapproche bon gré mal gré de Mia, camarade de classe et voisine du dessus, Hana nous invite dans ses débuts de vie adulte. Résidant toujours chez ses parents avec son frère aîné Kyung, Hana s’occupe des livraisons en moto pour le restaurant familial et finit souvent ses soirées avec ses amis Mia, Leo et Alex. Chaque personnage possède un petit quelque chose. Ainsi, Hana se veut détachée de tout, se montre indolente et désinvolte. Elle se laisse porter par le courant sans trop se poser de questions. Même ses études universitaires aux Beaux-Arts constituent un choix par défaut plutôt qu’une vocation. Elle est à un âge où elle se cherche encore. Mia est solaire, pétillante. Comme Hana vit souvent sans téléphone, et donc sans alarme, c’est elle qui se charge de la réveiller le matin en lui jetant des chaussettes par fenêtres interposées, quitte à arriver elle aussi en retard en cours. Leo, quant à lui, est transgenre. On le suit de loin dans sa transition ; on a envie de le prendre sous notre aile, de lui dire que tout ira bien pour lui. Enfin, à travers Alex, Clara DUARTE aborde les problèmes de dépendance – alcool et drogue -, les conséquences sur ses relations à l’autre, sur sa santé, les schémas autodestructeurs devant lesquels tous font plus ou moins l’impasse (par impuissance, jamais par indifférence) jusqu’à ce que les virées aux urgences ne leur permettent plus de faire l’autruche. L’œuvre est en cela résolument moderne. Militante, tout en douceur. Elle nous parle de diversité et en appelle à notre ouverture d’esprit. Chacun de ces personnages mériterait d’ailleurs son propre opus tant on aimerait les voir approfondis à la mesure de leur plein potentiel.

— Tiens, et ton téléphone ?
J’ai senti quelque chose de bizarre dans mon estomac : Elle te demande ton numéro.
— Quoi ? j’ai répondu, les mains pleines.
— Ton portable, il était cassé. Comment il va ?
J’ai haussé les sourcils, me sentant complètement idiote.
— Ah. Pareil. Cassé. Fichu.
Elle m’a souri. J’ai essayé de ne pas l’admirer, mais, quand elle souriait comme ça, j’avais l’impression d’avoir gagné un cadeau, un truc important, comme toute une boîte de Phoskitos.
J’ai raconté à Leo ce qui se passait. En réalité, il ne se passait rien.

Un soir, à la sortie d’un bar, alors qu’elle se débat pour tirer Alex de l’énième guêpier dans lequel il s’est fourré, Hana fait la connaissance de Ro, une jeune fille de son âge, les cheveux courts, un brin mystérieuse. L’alchimie naît entre elles comme une évidence. La relation qu’elles entretiennent dès lors est à leur image, à la fois tranquille et hasardeuse, orchestrée et inattendue, sérieuse et taquine. L’été passe dans la chaleur de leurs cœurs qui battent à l’unisson, de leurs corps qui s’entremêlent, quand soudain, dans la nuit entre le 31 août et le 1er septembre, Ro disparaît sans laisser de traces. Pire encore, alors qu’ils ont passé des mois à traîner ensemble, leurs amis communs, la famille d’Hana, les colocataires de Ro… personne ne se souvient de cette dernière et Hana en vient à questionner sa santé mentale. Est-il possible d’affabuler à ce point ? De donner vie à un fantasme ? Six mois plus tard, alors que Hana s’était fait tant bien que mal une raison, Ro resurgit sans crier gare, jetant à nouveau le trouble dans l’esprit de sa petite-amie

« Les météorites, c’est comme tomber amoureux, ça a quelque chose de magnifique et de désagréable à la fois. »

La mention d’un quelconque phénomène TikTok n’a aucunement conditionné ce choix de lecture. La plupart du temps, c’est d’ailleurs un frein. J’ai été attirée par la perspective d’un young-adult insolite. Espagnol de surcroît, histoire de changer des œuvres françaises ou américaines. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, la touche de réalisme magique m’a d’ailleurs un peu surprise. L’autrice gère cet aspect du roman avec intelligence, qu’il s’agisse des réactions de Hana face à un phénomène aussi incompréhensible ou les conséquences que ces disparitions ont pu avoir sur la vie de Ro, qu’elle soit personnelle, familiale ou professionnelle. La solitude dans laquelle ce secret plonge Ro et Hana est très bien retranscrite. Petit à petit, Clara DUARTE nous fait remonter dans le passé de Ro pour comprendre l’origine de tout cela. Un passé tortueux entre un père décédé et une mère sous influence, où l’argent ne cesse de manquer, autant que les opportunités. Hana et Ro sont à la fois similaires et différentes. Elles ont chacune leurs lubies, vouent un culte aux biscuits Phoskitos pour l’une, aux plantes vertes pour l’autre. La première est entourée, la seconde entièrement livrée à elle-même. Elles cherchent leur place dans un monde qui leur échappe à bien des égards. Un monde qui perd jusqu’à sa logique quand Ro disparaît de la surface de la Terre la moitié de l’année comme une Perséphone contemporaine. L’autrice fait monter le sentiment d’urgence et si les explications fournies n’ont somme toute rien de renversant, elles tiennent la route et suivent une certaine logique. Certaines facilités scénaristiques en trahissent néanmoins le dénouement.

On sent bien que Clara DUARTE cherchait avant tout à nous parler des répercussions que ces disparitions programmées pouvaient avoir sur Ro et Hana plutôt qu’à nous pondre un chef d’œuvre de science-fiction. Dans un style assez décousu, avec peu de liants entre les phrases et une plume abrupte jusque dans ses métaphores parfois maladroites, l’autrice saupoudre son intrigue d’un soupçon de poésie pour nous livrer son petit OVNI littéraire, où Hana évolue entre deux mondes parallèles sans plus trop savoir lequel est le plus authentique. S’il reste quelques longueurs dans le récit, des schémas répétitifs entre des études négligées, des sorties nocturnes trop fréquentes et des livraisons en moto intermittentes, cette aventure humaine a su m’intriguer et me conquérir.

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