Où vont les larmes quand elles sèchent – Baptiste BEAULIEU

PRÉSENTATION DU LIVRE

« Où vont les larmes quand elles sèchent »
Auteur : Baptiste BEAULIEU
Éditeur : L’Iconoclaste
Parution : 05 Octobre 2023
Pagination : 271
Prix : 20,90 €
CONTEMPORAINE

« Jean a trente-six ans. Il fume trop, mâche des chewing-gums à la menthe et fait ses visites de médecin de famille à vélo. Il a supprimé son numéro de portable sur ses ordonnances. Son cabinet médical n’a plus de site Internet. Il a trop de patients : jusqu’au soir, ils débordent de la salle d’attente, dans le couloir, sur le patio. Tous les jours, Jean entend des histoires. Parfois il les lit directement sur le corps des malades. Il lui arrive de se mettre en colère. Mais il ne pleure jamais. Ses larmes sont coincées dans sa gorge. Il ne sait plus comment pleurer depuis cette nuit où il lui a manqué six minutes. »

EXTRAIT

CHRONIQUE

À la lecture du synopsis et devant la mention de ce fameux « Jean », j’ai d’abord cru à une nouvelle fiction née de la main de Baptiste BEAULIEU. Mais le suivant depuis près d’une décennie sur Instagram, j’ai vite reconnu certaines de ses anecdotes. Cela n’enlève rien à la qualité de l’ouvrage et ne m’a certainement pas empêchée d’en savourer chaque page. Simplement, ce livre relève davantage du témoignage que du roman. La frontière se brouille entre auteur et protagoniste, c’est aussi une manière de se protéger quand on prend le risque de se dévoiler autant à si grande échelle.

« Il vit dans son minuscule appartement, cage à lapin coincée dans une barre de HLM grisâtre pleine de clapiers tristement identiques. On ne doit pas y rêver beaucoup. Sans rêve, qu’est-ce qui te reste ? De toute façon, la première différence entre les riches et les pauvres, c’est d’avoir des pièces qui ne servent à rien. Les rêves en moins, ça vient juste après. »

En partant de Jean, trente-six ans, Baptiste BEAULIEU nous raconte le parcours d’un médecin généraliste ayant fui les urgences pour ouvrir son propre cabinet médical. Il nous narre les salles d’attente bondées, les belles rencontres, les tristes, les teigneuses… Les drames et les rires s’y succèdent tour à tour et toutes ces tranches de vie m’ont d’autant plus touchée qu’en les redécouvrant ici, j’ai compris qu’elles étaient réelles. Il ne s’agit pas de personnages, de marionnettes que l’auteur fait évoluer au gré de ses envies. Non, il s’agit de vraies personnes, comme vous et moi, dont la vie a parfois basculé en poussant la porte d’une salle d’attente. Baptiste BEAULIEU nous offre un condensé de ses plus belles rencontres, pour le meilleur et pour le pire. On y voit toute la beauté de la condition humaine, sa fragilité, sa violence, sa solitude, son désarroi, son égoïsme, son incroyable générosité aussi.

« Six minutes, c’est tout. Le temps qu’il faut au malheur pour poser ses valises chez vous. Peut-être qu’on aurait pu le sauver, peut-être pas. Ne pas savoir, c’est insupportable : on refait le film dans sa tête. Ça tourne, encore, encore et, chaque fois, tôt ou tard arrive cette version optimiste de l’histoire où l’enfant ne meurt pas, où il a la vie qu’il méritait. Mais c’est faux, il est mort. On le sait bien. On le sait trop. On ne sait même plus que ça. »

Depuis qu’il a vu mourir un enfant de six ans « parce que sa mère l’aimait trop », les glandes lacrymales de Jean se sont bouchées. Il y a dans cet ouvrage quelque chose de tendrement paradoxal. Tous les ingrédients sont réunis pour émouvoir le lecteur ou le faire rire, et pourtant, pour Jean, le dilemme reste entier. Il est désormais incapable de pleurer et ça dure depuis des années. J’ai apprécié ce voyage au plus profond de soi pour les mêmes raisons qui me poussent à suivre Baptiste BEAULIEU sur les réseaux sociaux depuis si longtemps. C’est un homme investi, engagé et courageux, qui n’a pas peur de dire les choses, de verser dans l’autodérision ou de s’insurger contre l’ordre établi. Entier, il a des opinions tranchées et ne s’en cache pas, et elles transparaissent bien évidemment dans ce livre. Il aborde divers sujets d’actualité, la place des immigrés dans notre société, la précarité, le tissu médico-social qui s’étiole faute de moyens, le gouvernement qui s’en lave les mains, les gens qui fatiguent, ceux qui versent alors dans la colère, se défoulent sur femmes et enfants, sur tous ceux qui ont le malheur de s’écarter de la norme. C’est une ode à la bienveillance, à la diversité et à l’ouverture d’esprit. Nous sommes tous dans le même bateau, alors pourquoi ne pas nous serrer les coudes au lieu de nous noyer les uns les autres ?

Baptiste BEAULIEU nous relate tout ceci tantôt avec poésie, tantôt avec cette irrévérence si caractéristique. Sa plume est énergique, parfois volontairement déstructurée, orale même. Dans la version audio, Thomas MARCEUL lui prête sa voix avec brio. Il met tant d’émotions, d’amusement et de révolte dans son timbre. J’ai souvent ri avec lui. Avec eux. Je me suis aussi sentie moins seule en parcourant certains passages.

« Vous vous souvenez de la maxime de Nietzsche : Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Oui, peut-être. Tant mieux. Pour certains, ça doit marcher. Mais pour les personnes que ça a rendu plus fragiles ? Plus sensibles ? Plus chancelantes ? Parfois, ce qui a été fait ne peut être défait, c’est comme ça. Ce qui ne nous tue pas nous brise en mille morceaux. Alors oui, c’est joli, la mosaïque, mais c’est long à assembler. »

Arrive un moment où même les plus puissants guerriers ont besoin de poser les armes, non ? Cette injonction au bonheur peut se révéler épuisante. Il faudrait constamment sourire à tous pour n’en froisser aucun, faire de la limonade quand la vie ne nous offre que des citrons amer, pratiquer le yoga, la méditation… Saupoudrez un peu de détox par-dessus et c’est le bonheur assuré ! Si tu n’y arrives pas, c’est que tu ne dois pas vraiment essayer. Baptiste BEAULIEU défonce les lieux communs à coups de grandes vérités. Il s’appuie sur son expérience personnelle et sur les faits dont il est quotidiennement témoin pour défendre son propos. L’humour est omniprésent, car c’est souvent le dernier recours qu’il nous reste face aux aléas du destin.

Si vous cherchez une lecture légère sans être niaise, un nouvel ami à rencontrer, un qui vous écoute sans vous avoir jamais rencontré, si comme beaucoup il vous arrive de flancher quand bien même vous aimeriez tant pouvoir danser sous la pluie, jouer dans la lumière plutôt que de rester tapi dans l’ombre, si vous désespérez de vous réconcilier avec l’humanité malgré toutes ces horreurs qui défilent sans arrêt devant vos yeux aux infos, si vous rêvez de troquer votre impuissance contre la preuve qu’il reste encore ici-bas de bonnes personnes, assez pour continuer à se battre et à y croire, alors allez-y, foncez ! Lisez cette pépite d’une authenticité et d’une humilité rares, cette chronique d’un super-héros de l’ordinaire, qui n’a peur ni des paillettes ni des bouchons de cérumen !

« Je suis à fleur de monde comme on peut être à fleur de peau, j’ai les poils hérissés, j’ai la chair de foule. »

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