PRÉSENTATION DE LA BANDE-DESSINÉE
| « Racines » |
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| ● Autrice : Lou LUBIE |
| ● Éditeur : Delcourt |
| ● Parution : 29 Mai 2024 |
| ● Pagination : 216 |
| ● Prix : 24,95 € |
| DOCUMENTAIRE |
« On n’est jamais content de ses cheveux : Rose, qui a les cheveux crépus, rêve de les avoir lisses. Pour se conformer aux normes sociales, elle sera prête à tout, quitte à gommer son identité métissée. Entre enquête de société et récit de vie, une BD riche et touchante qui parle de sexisme, de racisme, d’héritage et d’acceptation de soi. »
EXTRAITS
CHRONIQUE
Rose est une métisse réunionnaise. Toute petite déjà, elle se pâmait devant les cheveux lisses de sa mère et a vite réclamé de faire pareil. Le brossage du matin était une torture qui exigeait par-dessus le marché qu’elle se lève bien plus tôt que ses frères. Confrontée aux moqueries des autres enfants à l’école, elle finit par régler le problème d’un coup de tondeuse. Les railleries, malheureusement, sont toujours aussi omniprésentes dans son quotidien ; elles ont juste changé d’angle d’attaque. Alors qu’elle entame ses études universitaires en France métropolitaine, Rose se lance dans un combat acharné, bien décidée à dompter son épaisse chevelure. Elle va traverser des années de galère, entre des salons qui refusent la prise en charge et d’autres qui font n’importe quoi par manque de formation. Rose s’abime les cheveux et la santé. Elle tombe dans la dysmorphophobie, peine à se regarder dans le miroir, accorde une importance monumentale au moindre cheveu qui dépasse. On suit son parcours désespéré pour se rapprocher de la « norme », pour pouvoir enfin s’identifier à ses amies, à ses collègues. Et à chacun de ces stades qu’elle traverse – entre lissage, tissage et naturel – elle subit des remarques désobligeantes. Les gens se sentent obligés de commenter ses choix, comme s’ils avaient leur mot à dire sur la manière dont Rose souhaite se présenter. On lui dicte comment se coiffer, alors qu’il s’agit de ses cheveux à elle, de son corps.
Cette bande-dessinée retrace ce que signifie d’être racisé dans notre société contemporaine. Tous les comportements intrusifs et déplacés dont elle est la cible m’ont révoltée. Je connaissais le problème de ces gens qui se croient en droit de toucher des cheveux afro sans jamais rien demander, comme d’autres s’arrogent le droit de caresser le ventre des femmes enceintes. Mais j’avoue que j’étais loin de deviner tout ce qui se cachait derrière les soins à y apporter. Les crèmes et les coiffages hors de prix, les heures interminables dans les salons, le tout qui tient sur un laps de temps bien trop réduit. Rose et ses cheveux, c’est un peu comme Sisyphe et son rocher. Son calvaire ne semble pas connaître de fin.
Dans « Racines », Lou LUBIE mêle habilement le récit de vie et le documentaire. Si elle nous fait suivre Rose de l’enfance à l’âge adulte, de l’innocence à la réconciliation, elle parsème son histoire de statistiques et d’explications socio-historiques afin de nous exposer les pleins enjeux de ce qui se trame dans et sur la tête de sa jeune protagoniste. Elle nous met face aux restes de colonialisme dans certains de nos comportements. Elle revendique son droit à faire ses propres choix, à vivre en paix avec son apparence, et pointe du doigt le racisme banalisé qui sévit encore beaucoup trop de nos jours. D’un crayonné moderne et dynamique, elle donne vie à Rose, à ses états d’âme, sa détresse, sa révolte. Les couleurs vives de son enfance deviennent plus ternes, neutres, au fil des pages. Comme si ce qu’elle subit venait peu à peu gommer toutes ces nuances qui la rendaient si unique. Comme si on cherchait à effacer ses particularités pour la fondre dans un moule dans lequel elle ne peut pas rentrer, même si elle le voulait.
J’ai trouvé cet ouvrage très riche, intelligent, sensible et instructif. Il nous ouvre les yeux à bien des égards, avec ses explications claires, documentées et pertinentes. Une belle ode à la réconciliation avec soi-même d’un côté, et un appel à ce que cessent enfin ces jugements inconsidérés.
Dragon Lyre 