Traversées – Lucas VALLERIE

PRÉSENTATION DE LA BANDE-DESSINÉE

« Traversées, la route de l’aventure »
Auteur : Lucas VALLERIE
Éditeur : La Boîte à Bulles
Parution : 05 Juin 2024
Pagination : 152
Prix : 25 €
DOCUMENTAIRE – TÉMOIGNAGE

« Le point commun entre Mouhamouda, Omar, Jeannette ou encore Claude ? Ils ont tous pris la « route de l’aventure », comme ils l’appellent. Comme d’autres avant eux, ils ont décidé de quitter leurs proches et leur chez eux portés par l’espoir d’un avenir meilleur… En chemin, certains ont connu la prison, d’autres la traite ou ont côtoyé la mort, mais c’est en Méditerranée que leurs destins se sont liés.
À l’été 2022, Lucas Vallerie embarque à bord du Geo Barents, le navire affrété par Médecins Sans Frontières pour porter secours aux naufragés en haute mer. Au cours d’une rotation où il participe à une mission de sauvetage particulièrement périlleuse, il fait la rencontre de toutes ces personnalités pleines d’espoir. Dans Traversées, il raconte leur rencontre et fait le choix de leur donner à chacun une voix. »

EXTRAIT

CHRONIQUE

Lucas VALLERIE est dessinateur et auteur de bandes-dessinées. Un été, il décide d’embarquer à bord du Geo Barents, un navire affrété par Médecins Sans Frontières avec pour vocation de porter secours en mer aux migrants qui tentent la traversée vers l’Union Européenne, très souvent au départ de la Lybie. Il veut ainsi se confronter à la réalité, recueillir des témoignages afin de sensibiliser les populations face à un phénomène qui tue chaque année des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.

Lucas VALLERIE déploie sous nos yeux toute la logistique que de tels sauvetages en mer requièrent. Les moyens humains et matériels, les stocks de nourriture, de médicaments,… La liste semble interminable et sur le terrain, on comprend vite pourquoi. Sur la première embarcation de fortune où se chevauchent tant bien que mal une centaine de réfugiés, l’aventure tourne vite au désastre. Secourus de justesse par le Geo Barents, l’intervention durera tout de même une dizaine d’heures et ne se fera pas sans pertes. À partir de ce premier sauvetage, l’auteur nous explique avec précision et compassion le calvaire vécu par ces malheureux, les enjeux, les tenants et aboutissants de chaque situation.

Si nous avons tous entendu parler de ces drames à répétition, il m’était personnellement difficile d’en saisir la pleine mesure avant de lire cet ouvrage. J’ai toujours été en faveur de l’immigration parce que qui peut se targuer de n’avoir aucun migrant dans son arbre généalogique ? Ne devrions-nous pas bénéficier d’un minimum de liberté de mouvement dans un monde qui évolue sans cesse et prône les échanges internationaux ? N’a-t-on pas droit au bonheur, peu importe notre lieu de naissance ? Comme l’auteur le souligne si bien, il y a en l’occurrence un délit de faciès puisqu’un Européen qui s’installe au Canada, par exemple, est appelé « expatrié » alors qu’un Africain qui cherche une vie meilleure en Europe est qualifié de « migrant ». L’un est considéré comme un apport positif à la nation, l’autre comme une sorte de parasite qui se contentera de vivre des aides de son potentiel pays d’accueil. L’illogisme parfait du célèbre « deux poids, deux mesures », le racisme dans toute sa splendeur. On se demande où est passée notre humanité quand on voit à quel point nos gouvernements soutiennent de telles visions dans une société qui se veut pourtant moderne et solidaire. Car non seulement ces derniers bloquent les navires de sauvetage à quai sous des prétextes fallacieux (une fine couche de poussière au-dessus d’un luminaire devient soudain un risque majeur d’incendie), mais en plus, via FRONTEX (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), ils soutiennent directement la traite des êtres humains qui rapporte si gros en Libye. À travers les témoignages de plusieurs survivants, Lucas VALLERIE dénonce les séjours en prison chaque fois qu’un migrant est rattrapé en mer, les tortures subies, les conditions de vie dégradantes, les rançons demandées aux familles. Et si ce même migrant échoue à nouveau par la suite, c’est le même jackpot à la clé pour les garde-côtes libyens. Sans des organismes comme Médecins Sans Frontière, cette spirale monstrueuse se répéterait encore et encore, sans le moindre espoir à l’horizon.

Toute cette cruauté d’un côté et cette indifférence de l’autre m’ont rappelé un récent fait divers, sur la terre ferme cette fois : « Les services municipaux de Briançon ont retiré le 26 Mars 2024 une stèle de pierres en hommage aux 12 migrants morts en tentant de franchir la frontière franco-italienne entre 2018 et 2023. Le maire, Arnaud Murgia, explique que l’association Tous Migrants, à l’origine du geste, n’a pas obtenu les autorisations nécessaires, tandis que les bénévoles dénoncent une mesure politique visant à invisibiliser les morts à la frontière ». (Source : Info Migrants)

Bref, pour opérer à bord du Geo Barents, il faut avoir un moral d’acier, de l’empathie, de la persévérance. Il y a tant de moments forts à expérimenter auprès des rescapés, mais quel dévouement il faut pour affronter pareille misère… Cela force l’admiration et pourtant, j’ai trouvé ça tellement triste en contrepartie, parce que leurs interventions, n’est-ce pas simplement ce à quoi nous devrions tous nous engager au lieu de garder nos frontières comme des chiens enragés ?

Les dessins de Lucas VALLERIE sont dynamiques et expressifs. En alternant entre des planches teintées de couleurs vives et d’autres sur lesquelles est apposé un filtre sépia, le bédéiste relie l’instant présent au moment où chacune des personnes ciblées par ce biais lui confiera son vécu. Le procédé confère encore plus d’impact aux épreuves qu’elles ont dû et devront encore surmonter. Le travail de colorisation est efficace, même s’il se résume à de simples aplats avec quelques effets basiques d’ombrages et de reflets de lumière.

« Traversées » est une œuvre-choc qui a le mérite et le courage de nous ôter nos œillères et de remettre nos gouvernements face à leurs responsabilités, car avant d’être une nation, nous sommes avant tout des êtres humains. Un point trop facilement occulté au nom du profit et des intérêts personnels.

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