Mamie Luger – Benoît PHILIPPON

PRÉSENTATION DU LIVRE

« Mamie Luger »
Auteur : Benoît PHILIPPON
Éditeur : Le Livre de Poche
Parution : 27 Mai 2020
Pagination : 208
Prix : 8,90 €
THRILLER – HISTORIQUE

« Six heures du matin : Berthe, cent deux ans, canarde l’escouade de flics qui a pris d’assaut sa chaumière auvergnate.
Huit heures : l’inspecteur Ventura entame la garde à vue la plus ahurissante de sa carrière. La grand-mère au Luger vide son sac, et le récit de sa vie est un feu d’artifice. Il y est question de meurtriers en cavale, de veuve noire et de nazi enterré dans sa cave. Alors… Aveux, confession ou règlement de comptes ? Ventura ne sait pas à quel jeu de dupes joue la vieille édentée, mais il sent qu’il va falloir creuser. Et pas qu’un peu. »

EXTRAIT

CHRONIQUE

Au petit matin, en Auvergne, armée jusqu’au dentier, Berthe, cent-deux ans, ne se laissera pas si facilement attraper. Elle a tiré sur son voisin avec sa carabine calibre 22 et n’hésitera pas à renouveler l’exploit si d’aventure la police se mettait en tête de donner l’assaut sans s’être au préalable essuyé les godillots ! Les dialogues sont vivaces, pleins de verve et de mordant. À l’instar de son arme, la répartie de la mamie tire à balles réelles et on s’en délecte. En garde à vue non plus, Berthe ne se laisse pas impressionner. Il faut dire qu’à son âge, après avoir connu la guerre, plus rien ne lui fait peur. Maline, débrouillarde, têtue comme une mule, elle donne vite la migraine à l’inspecteur Ventura en charge de son cas, bientôt relayé par les médias. Qu’est-ce qui peut bien unir cette veuve centenaire au jeune couple en cavale qui fait lui aussi la une des infos ? Bien décidée à prendre tout son temps, quitte à louper son émission préférée, Berthe raconte alors sa vie, en long en large et en travers, qui, si elle érode progressivement l’endurance de Ventura, ne manque pas d’émouvoir les témoins, allant jusqu’à ébranler certaines de leurs convictions.

Madame, c’est la police. Sortez de chez vous, vous ne craignez rien.
J’vais pas m’laisser berner ! J’le connais l’coup d’la police ! Vous voulez m’faire sortir pour m’violer ! J’suis qu’une vieille grand-mère qu’a qu’la peau sur les os, bande de détraqués !

Avec ce roman, Benoît PHILIPPON nous fait naviguer entre différentes époques, d’une France laissée exsangue par la Première Guerre Mondiale à nos jours, en passant par l’occupation nazie et le militantisme féministe. Au fil de ses mésaventures, Berthe gagne en assurance sans jamais cesser de croire en l’amour. Les coups pleuvent autant que les insultes, les préjugés ayant la dent dure envers cette jeune femme en avance sur son temps. On ne lui épargne rien et à force, Berthe a appris à prendre les devants. Armée d’une poêle, d’un couteau, de la carabine de Nana (cette grand-mère formidable qui l’a élevée entre sa grosse distilleuse et ses idées émancipatrices), ou encore du Luger confisqué à un Nazi un peu trop… entreprenant…, la jeune femme ne s’en laisse plus conter. Entre naïveté, séduction et cynisme, elle est prête à faire rentrer les notions de respect et d’égalité dans la tête des hommes, à coups de pelle s’il le faut ! Car si les circonstances parfois tristement exceptionnelles ont fait d’elle une serial killer, Berthe est avant tout une survivante.

Ventura en a rencontré des cas sociaux, mentaux ou criminels dans sa carrière, mais une grand-mère centenaire, plus fragile qu’une brindille asséchée par une canicule trop longue, armée jusqu’au dentier et plus venimeuse qu’une vipère, c’est une première. Il a de la tendresse pour elle, tout en se disant qu’elle n’a pas fini de l’emmerder.

À travers les récits de plus en plus grandiloquents de cette mamie infernale, on passe du fou-rire à la consternation, de l’amusement à la révolte. Berthe n’est pas blanche comme neige, loin de là. Pourtant, irons-nous jusqu’à lui jeter la première pierre au fur et à mesure que l’on en apprend davantage sur les épreuves qu’elle a traversées ? Le ton change, et sans perdre cette touche d’humour qui le caractérise, on plonge dans l’horreur. À sa place, qu’aurions-nous fait ? Benoît PHILIPPON nous parle ainsi de liberté et d’égalité, nous questionne sur les notions de justice et de légitime défense. Les remarques de Ventura alimentent à merveille ces réflexions, quitte à poser les questions qui fâchent. Berthe en ressort grandie, pertinente à défaut de verser dans la modération. Ce roman m’a souvent rappelé la chanson « Né en 17 à Leidenstadt » de Jean-Jacques GOLDMAN : « On saura jamais c’qu’on a vraiment dans nos ventres / Cachés derrière nos apparences / L’âme d’un brave ou d’un complice ou d’un bourreau ? / Ou le pire ou plus beau ? / Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d’un troupeau / S’il fallait plus que des mots ? ».

– Je ne vous comprends pas, vous, les femmes. Vous avez pourtant la belle vie. Nourries, blanchies, logées, les responsabilités incombent à vos maris. Vous n’avez aucune chaîne aux pieds et aujourd’hui tu me parles d’égalité.
– Et la nécessité de l’accord de son mari pour avoir un compte en banque et utiliser son propre argent, tu trouves que c’est pas des chaînes aux pieds, toi ? Devoir quémander pour avoir le droit de vote, c’est la liberté ? Risquer une amende parce que tu portes un pantalon, t’appelles ça comment ? Être artiste, ça devrait pas t’empêcher d’être con ?

La version audio vaut tout autant le détour. Fabienne LORIAUX donne vie à cette mamie hors du commun avec tout ce qu’il faut d’effronterie, d’irrévérence et de charisme. Elle incarne à la perfection les humeurs et les dilemmes de Berthe, sa volonté inébranlable. Elle adapte son timbre de voix aux différents âges traversés par cette anti(?)héroïne, ainsi qu’aux personnages secondaires. Dansant entre espièglerie et fatalité, elle nous conte cette histoire en y mettant tout son cœur, révélant un talent certain pour la comédie et la mise en scène. S’il m’est donné de revoir son nom sur un livre audio, je ne manquerai pas de sauter le pas les yeux fermés !

Si ce roman est souvent en décalage absolu entre le ton exploité et les faits rapportés, à dessein et pour notre plus grand divertissement, la pertinence du propos subsiste, intacte. Certains schémas narratifs ont beau se répéter, Benoît PHILIPPON ne perd rien en force de démonstration et nous rappelle ce que cela signifiait d’être une femme au XXème siècle. Il pointe du doigt à quel point les mentalités sont lentes à évoluer et combien, parfois, les femmes conditionnées sont susceptibles d’incarner les pires ennemies de leurs pairs, comme le prouvent si tristement les brimades subies par Berthe à cause de ses tenues vestimentaires, de son indépendance, de son parfum de liberté. Une manière de nous interroger sur ce qu’il en est de nos jours et de recadrer ceux qui osent encore prétendre que le féminisme n’a plus de raison d’être.

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