Évidemment Martha – Meg MASON

PRÉSENTATION DU LIVRE

⌧ CARACTÉRISTIQUES ⌧
Titre français : Évidemment Martha
Titre original : Sorrow and Bliss
Autrice : Meg MASON
Éditeur : Le Cherche Midi
Parution : 12 Mai 2022
Pagination : 416
Prix : 22 €
★ Contemporaine ★

« Quelque chose ne tourne pas rond chez Martha, et depuis longtemps. Lorsqu’elle avait dix-sept ans, une petite bombe a explosé dans son cerveau et elle n’a plus jamais été la même. Et malgré toutes les consultations, thérapies sans fin et traitements hasardeux, elle ne sait toujours pas ce qui ne va pas…
Pourquoi passe-t-elle des journées entières au fond de son lit ? Et pourquoi continue-t-elle à se mettre à dos des inconnus, et des proches, avec ses remarques cruelles et désinvoltes ? Aujourd’hui, son mari l’a quittée et elle n’a plus nulle part où aller, si ce n’est dans la maison de son enfance, une maison bohème (délabrée) dans un quartier romantique (délabré) de Londres. Et rien d’autre à faire que retrouver sa mère, une sculptrice au talent confidentiel – et très alcoolique – et son père, un poète célèbre – bien que jamais publié… Mais comment survivre là-bas sans sa sœur dévouée, grande gueule, qui rendait tout ce chaos supportable pendant leur enfance, et qui est maintenant trop occupée ou trop fatiguée pour prendre soin d’elle ?
Peut-être qu’en repartant de zéro, Martha pourra écrire un meilleur dénouement pour son histoire ratée – ou découvrir que cette histoire n’est pas encore tout à fait terminée. »

EXTRAIT

CHRONIQUE

Le roman débute sur des explications pour le moins pittoresques. Lorsqu’on interroge Martha sur les circonstances qui l’ont amenée à connaître Patrick, son mari, celle-ci répond qu’ils ne se sont pas réellement rencontrés. Juste avant de le comparer au sofa de la maison où elle a grandi : « Il était là, c’est tout. On ne se demandait jamais d’où il venait, car aussi loin qu’on se souvienne, il avait toujours été là. Même aujourd’hui, s’il y est encore, personne ne lui prête la moindre attention. Et pourtant, en cherchant bien, on serait capable d’énumérer chacune de ses imperfections. Ainsi que leur origine ». À quoi Patrick rétorque que « Martha pourrait indubitablement vous faire l’inventaire de ses défauts ». On devine d’emblée l’originalité, l’excentricité de leur amour, autant que la poutre de guingois qui le supporte tant bien que mal. Peu de temps après, Patrick part en claquant la porte et Martha entame un long travail d’inspection à nos côtés.

Elle nous relate son enfance entre un père poète – qui a touché une avance pour un recueil qu’il n’a jamais écrit – et une mère artiste-bohème – sans réel talent ni renommée, qui noie volontiers ses déceptions dans des litres d’alcool. Heureusement, il lui reste sa sœur cadette Ingrid avec qui elle partage aventures et complicité. Ils vivent chichement de bœufs musicaux en épisodes de spleen généralisé. Plus aisée et épanouie, Winsome – la tante de Martha et Ingrid – veille sur elles à distance, que ce soit au travers de l’achat de la maison familiale ou de ces Noëls gravés dans le marbre qu’elle organise chaque année chez elle. C’est d’ailleurs au cours d’une de ces occurrences que Martha rencontre Patrick pour la toute première fois. La vie n’était facile pour aucun d’entre eux, mais ils tiraient pourtant leur épingle du jeu. Pour Martha, malheureusement, un jour tout bascule. Tétanisée par une brusque dépression, elle peine même à quitter son lit. Elle devra dès lors apprendre à composer avec cette fragilité psychologique. Et ce, pour le reste de son existence. Une instabilité qui se renforcera d’année en année, au gré de ses échecs personnels.

Ce roman fait en quelque sorte office de journal intime. Martha nous décrit les événements marquants qu’elle a traversés au fil des ans. Ses doutes, ses angoisses, sa détresse d’être incomprise, et cette cyclothymie qui lui donne tantôt envie de se relever plus belle et plus grande que jamais, tantôt de baisser les bras en restant prostrée au fond de son lit jusqu’à complètement effacer son existence de la surface de la Terre. Un journal intime, dans le sens où quand elle nous raconte une anecdote, son esprit fait régulièrement des détours. Elle rebondit sur un mot pour en introduire une autre avant de revenir à son histoire initiale. Elle saute du coq à l’âne tout en gardant ce soupçon de morgue qui la caractérise. Car elle peut parfois être très centrée sur elle-même, sur ses envies et ses besoins, et cela se fait au détriment de son entourage, comme lorsqu’on sent une certaine animosité envers Ingrid, depuis que cette dernière est devenue mère de famille et se montre donc moins disponible pour l’écouter et l’épauler. Les non-dits s’accumulent entre Martha et les autres, et la communication en devient presque impossible.

À travers le regard de son héroïne, Meg Mason nous livre un récit intimiste, plein de sensibilité, de drôlerie, de bon sens et de folie. Elle tisse les liens indéfectibles qui unissent Martha à son entourage, pour le meilleur et pour le pire. Cette dernière est perdue, mais a malgré tout une volonté de bien faire, une aptitude à se remettre en question pour tenter d’avancer. Cela ne se fait toutefois pas sans heurts. Martha trouvera-t-elle les réponses aux questions qu’elle se pose depuis si longtemps ? Peut-elle encore sauver son couple ? Convaincre Patrick qu’il existe d’autres manières de vivre ensemble sans que cela ne les mine tous les deux ?

La plume de Meg Mason est délicieuse. À la fois travaillée et accessible, fraîche et emportée. J’ai été complètement immergée dans l’univers et les réflexions de Martha, d’un bout à l’autre de ce roman. J’ai compris son cheminement de pensées, les schémas autodestructeurs qu’elle reproduit sans pouvoir jamais s’en défaire, son envie d’être « normale », ses rêves brisés, sa confiance en elle foulée, ses tendances mélancoliques et abandonniques. Malgré ses travers, Martha m’est apparue sympathique et attachante, et j’ai prié pour la voir trouver un équilibre au cœur de la tempête perpétuelle de ses émotions. Le fond n’est pas en reste, car en plus de toutes ces thématiques autour du développement personnel, l’autrice jongle habilement avec celle du handicap mental. De la difficulté à dénicher de bons praticiens ou à définir un traitement efficace, de celle à se positionner quand aucun ne parvient à mettre un mot sur ses maux, les diagnostics erronés qui éliment un peu plus l’espoir de connaître des jours meilleurs. Martha nage en pleine détresse de ne pas tourner aussi rond que les autres, se débat avec l’inconnu. Il est compliqué pour elle de se construire alors que son socle de vie est rongé par les incertitudes quant à son mode de fonctionnement. Quand enfin le bon diagnostic tombe, avec des décennies de retard, Martha part sur le front pour prendre ses responsabilités autant que pour remettre les pendules à l’heure avec certains. J’ai trouvé particulièrement intéressante cette façon qu’a Meg Mason de remplacer le nom de la maladie par « Je souffre de _____ », comme pour refléter le double tranchant des étiquettes. Car à chaque trouble psychiatrique, on appose tout un lot de clichés, d’idées reçues, on considère les symptômes avant la personne qui les porte en elle et en fait constamment les frais. Et en même temps, c’est une étape indispensable vers un mieux-être.

Me concernant, les promesses formulées dans le bandeau de ce roman ont été tenues. J’ai effectivement découvert « une œuvre remarquable : un livre à l’humour dévastateur et à l’écriture percutante, un vrai tourbillon d’émotions », une histoire « âpre et spirituelle ».

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