Les Anagrammes de Varsovie — Richard Zimler

⌧ FICHE TECHNIQUE ⌧

Titre français : Les Anagrammes de Varsovie
Titre original : The Warsaw Anagrams
Auteur : Richard ZIMLER
Date de Parution : 31 Janvier 2013
Éditeur : Buchet-Chastel
Nombre de Pages : 343
Prix : 22 €

⌧ SYNOPSIS ⌧

Pologne, automne 1940 : des milliers de Juifs se retrouvent confinés dans une petite parcelle de la capitale, le tristement célèbre ghetto de Varsovie. Parmi eux Erik Cohen, un vieux psychiatre, contraint de survivre dans un minuscule appartement avec sa nièce et son petit-neveu adoré, Adam. L’hiver est éprouvant : l’hostilité du ghetto où tout manque, le crime omniprésent, la mort qui rôde. Soudain, dans cette atmosphère de fin du monde, Adam disparaît. Le lendemain, son corps est découvert sans vie et atrocement mutilé au pied d’un des murs de barbelés qui clôturent le ghetto. Dans sa bouche, un morceau de fil. Quelques jours plus tard, le corps d’une jeune fille est lui aussi retrouvé mutilé. Tout en Erik crie vengeance : aidé de son ami d’enfance Izzy, une figure haute en couleur, il va s’échapper du ghetto pour mener l’enquête dans un Varsovie spectral, dans lequel les plus basses pulsions humaines côtoient l’héroïsme et la grandeur.

Une odyssée poignante, poétique, époustouflante, racontée par un mystérieux narrateur qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page.

⌧ CHRONIQUE ⌧

Il peut certes paraître incongru de qualifier ce roman de coup de cœur vu les circonstances évoquées et pourtant… je trouverais tout aussi insultant de ne pas reconnaître la qualité du texte ou simplement le devoir de mémoire auquel il nous confronte.

Notre Histoire est douloureuse… Encore plus lorsque l’on évoque ces guerres mondiales qui ont secoué nos patries il y a moins d’un siècle… Ce roman pose un certain nombre de questions morales, et si j’ose pointer du doigt cette marchande qui va chercher les légumes invendables tout au fond de sa belle cargaison du matin, pour les vendre à un prix scandaleux juste parce que le client est juif, je m’abstiendrai toutefois sobrement de m’autoproclamer héroïne ou résistante. Comme tout un chacun, j’aimerais pouvoir crier que je serai de ceux qui osent mettre leur vie en ligne de mire pour défendre les causes justes, mais qui sait comment nous réagirions – avec parfois une famille ou des amis à protéger – une fois réellement confrontés aux horreurs de la guerre ?

Le héros de cette histoire, Erik Cohen, a la soixantaine bien entamée. J’avais de ce fait un peu peur de ne pas pouvoir énormément m’attacher, m’identifier à lui. C’est un homme un peu bourru, qui n’aime pas montrer ce qu’il ressent envers sa fille, sa nièce et Adam, le petit garçon de neuf ans de cette dernière. Si la première vivait en sécurité à l’étranger au moment où la guerre a éclaté en Pologne et se voit donc épargner bien des épreuves, il n’en est pas de même pour le reste de la famille. Erik est juif et se voit contraint de quitter son appartement pour rejoindre le ghetto. Il apprend petit à petit à combler le fossé qu’il s’appliquait à maintenir entre ses proches et lui. Ils vivent tous les trois dans le froid extrême de l’hiver polonais, le terrible manque de nourriture, d’eau potable, de produits d’hygiène, d’espoir et de sécurité… Ils vivent au jour le jour dans le dénuement le plus total et pourtant, à travers les facéties d’Adam, ils parviennent à sourire assez pour survivre et affronter les pénibles lendemains.

La narration est à deux voix. Nous avons tantôt à faire à Erik, qui raconte son histoire au présent à un autre juif, toujours plongé au milieu de la seconde guerre mondiale, tantôt à un style plus classique où le passé et la troisième personne sont de mise. J’ai été un peu surprise en entamant la préface. On y trouve en effet un très léger côté fantastique dont la quatrième ne parlait pas, mais qui apportera au final poésie et nostalgie à l’intrigue générale. On sait d’emblée comment cela va se terminer, mais on ignore à quel moment cela va tant déraper…

Cette petite famille et ses voisins se battaient côte à côte pour affronter l’adversité et survivre à cette folie qui les parquait comme des bêtes dans un quartier de leur propre ville. Ils tenaient bon… jusqu’à ce qu’un drame finisse par directement toucher l’un des leurs. Je pense qu’il leur était possible de garder espoir tant que la mort frappait un peu plus loin : un juif comme eux, peut-être, mais un inconnu avant tout. Et quand la vie est arrachée à un enfant, cela a encore moins de sens… Ce fragile équilibre ainsi rompu, la communauté qui gravitait autour du jeune Adam va petit à petit s’effriter. Certains s’abîment dans un gouffre sans espoir ni volonté d’en sortir, d’autres tentent de préserver les apparences,… Erik, lui, va choisir la route la plus ardue : celle qui le mènera droit à l’assassin de l’enfant. Malgré l’enfermement dans le ghetto, le manque de moyens matériels et de contacts, malgré son âge relativement avancé, les dangers qu’il cumule à ainsi s’exposer,… Il refuse de se résigner, il n’a plus goût à rien mais il doit continuer à avancer pour rendre justice à son petit-neveu et pour porter à l’attention des chrétiens de la ville, de l’autre côté des murs de barbelés, les crimes qui se trament à parfois un seul pâté de maisons de chez eux…

Il s’agit d’ailleurs là d’un des thèmes centraux de ce roman. Erik insiste pour faire éclater la vérité au grand jour, à grande échelle, pour forcer le monde à prendre conscience de ce qu’il autorise, directement ou non. Il insiste également sur cette petite phrase qui veut tant dire : « Rendons leur singularité à nos morts ».

L’enquête tâtonne, Erik s’y lance seul, envers et contre tous, avant de trouver des alliés plus ou moins inattendus. Mais le doute le submerge quand il se rend compte que les conditions de vie sont telles dans le pays que bon nombre de citoyens, juifs comme polonais, sont prêts à vendre leur âme à l’occupant pour améliorer leur quotidien ou les chances de traverser cette guerre relativement sains et saufs. Les événements s’enchaînent à la perfection, nous en venons à soupçonner tout le monde. On finit par en innocenter certains avant de revenir à nouveau sur cette décision quelques pages plus tard. Je ne savais plus sur quel pied danser… Je savais que l’identité du coupable allait me navrer, mais je ne savais pas encore à quel point. Je me suis mise à la place d’Erik qui *vivait* tout cela. J’ai tremblé sous l’angoisse, vacillé sous les soupçons portant sur son entourage, frissonné devant les faits.

Car même s’il s’agit d’un roman, cette guerre a bel et bien eu lieu. Les traitres, les collaborateurs, les nazis, les camps de travail, la Solution Finale,… Pas d’échappatoire, pas de pensées rassurantes du style « ce n’est qu’une histoire, ça n’a pas eu lieu ». Et là où ce livre est encore plus intense et plus perturbant, c’est qu’il a été travaillé à partir d’un manuscrit tardivement découvert en 2008, sous le plancher d’un appartement de Varsovie.

Où s’arrête l’Histoire et où commence la fiction ? On ne le saura probablement jamais et c’est ce qui fait l’une des nombreuses forces des Anagrammes de Varsovie, où le pire côtoie le meilleur et se tapit parfois dans les recoins les plus inattendus…

2 réflexions sur “Les Anagrammes de Varsovie — Richard Zimler

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