Nos Vies Suspendues – Charlotte BOUSQUET

⌧ FICHE TECHNIQUE ⌧

Titre : Nos Vies Suspendues
Auteur : Charlotte BOUSQUET
Parution : 14 Février 2019
Éditeur : Scrineo
Pagination : 316
Prix : 17,90 €

⌧ SYNOPSIS ⌧

Trois ans, déjà.

Trois ans qu’Anis court pour ne plus qu’on la rattrape.
Trois ans que Nora a préféré ralentir, pour s’arrêter de penser.
Trois ans que Milan s’en veut de n’avoir rien pu faire.
Trois ans que Steven a fermé les yeux, et qu’il avance dans le noir.

Cette nuit-là les a marqués à jamais.
Et chacun doit réapprendre à vivre, avec cette voix intérieure qui ne les quitte pas.
Cette voix qui ne cesse de grandir et qui ne s’arrêtera pas de parler. Pas tant que les coupables n’auront pas payé.

Alors que le passé ne leur laisse aucun répit, comment retrouver le fil de leurs vies suspendues ?

 

⌧ EXTRAIT ⌧

« Quand le couple se sépare, presque à regret, un bâtard gris, plus hardi que les autres, tente de s’approcher. Grondement. Il s’éloigne, soumis. Alors, avec un drôle de soupir, la femelle quitte le parc en trottinant. Assis sur son arrière-train, son compagnon l’observe avant de se fondre, pareil à un fantôme, dans la brume.
C’est la différence entre les chiens et les hommes.
Les uns savent s’arrêter.
Les autres, non. »

 

⌧ CHRONIQUE ⌧

Anis et Nora, meilleures amies pour la vie. Nora et Steven, couple d’amoureux transi. On retrouve ces lycéens le jour des résultats du baccalauréat. Un jour qui va décider du champ de leurs possibles. Tous admis, ils filent fêter leur dernier été d’insouciance avant l’âge adulte. Au camping du lac, la bière et les mojitos coulent à flot, les rires tombent en cascade partout autour d’eux, il y a la soirée karaoké, les chahuts entre amis, un peu de flirt aussi. Tout est permis, ils sont libres et prêts à conquérir le monde malgré l’avenir incertain des jeunes. Puis viennent les feux d’artifice du 14 juillet, et tout s’arrête déjà.

Trois ans plus tard, on retrouve une Anis plus remontée que jamais. Hostile, le menton relevé malgré l’injustice, elle court dans l’espoir de rattraper celle qu’elle était avant ce soir-là. Elle court dans une cité rongée par la mort de SDF et les combats de chiens, mais elle n’a pas peur. Elle n’a plus peur. L’enfer, elle connaît déjà : elle en revient. Face à un même drame, Nora, jeune fille solaire, extravertie et séduisante, a réagi aux antipodes d’Anis. Elle s’est repliée sur elle-même pour mieux se couper des autres, elle se laisse aller pour mieux s’oublier.

Trois ans à se battre pour garder la tête hors de l’eau, contre une justice aveugle et misogyne, et cinq jeunes hommes qui refusent d’assumer les conséquences de leurs actes ou de leur lâcheté. À l’heure où les campagnes #MeToo et #BalanceTonPorc tendent à s’essouffler, Charlotte Bousquet tape du poing sur la table pour nous rappeler que le combat est malheureusement loin d’être terminé. Celui du droit des femmes, de s’habiller comme on veut, de rire et de faire la fête sans avoir peur que tout dérape, de dire non et d’être aussitôt entendue.

L’autrice aborde le sujet avec beaucoup de sensibilité et de justesse. Sa panoplie de personnages lui permet d’exploiter chaque facette d’un même drame, du côté des victimes comme de celui des témoins et des agresseurs. Il y a celle qui se débat, qui refuse d’être brisée à jamais, et celle qui se noie dans sa propre obscurité. Il y a celui qui a entraîné les autres et qui se vante de ses exploits, celui qui se remet en question mais pas trop, de peur de devoir régler l’ardoise, ceux qui portent des œillères pour pouvoir continuer à se regarder dans le miroir. Celui qui a vu mais n’a rien fait, celui qui aurait voulu en faire plus mais n’était pas présent au moment des faits. Charlotte Bousquet passe d’un personnage à un autre avec une aisance déconcertante. Les chapitres d’Anis à la première personne affichent un style haché, brut, qui reflète parfaitement le cœur écorché de son personnage, tandis que ceux de Nora, à la seconde, nous montrent à quel point le drame l’a dépossédée de ce qu’elle était ; elle est autre à présent, un toi qui ne lui appartient plus. L’autrice se glisse tout aussi bien dans la peau de ceux dans l’autre camp, elle les nuance pour englober un maximum de portraits-types et prouver ainsi que personne n’est à l’abri de devenir un jour un bourreau.

Elle agrémente d’ailleurs ses réflexions de SMS et de culture populaire. On retrouve ainsi « Stranger Things », « La Vague », « Harry Potter », « Le Seigneur des Anneaux », ... Elle introduit quelques courts flashbacks pour nous montrer Anis et Nora avant, et mieux retracer le chemin qu’elles ont parcouru depuis. Le récit est éclectique, moderne et pertinent, il a le mérite de recadrer un débat qui ne devrait même pas avoir lieu d’être, mais que bon nombre de femmes continuent pourtant d’encaisser au quotidien, envers et contre tout.

Le seul point mitigé qui – selon moi – pourrait refroidir certains lecteurs est lié aux chapitres de l’Ombre, en italique. Ils ont eu tendance à me sortir de l’intensité du récit, à me déboussoler, ne sachant comment les interpréter, la frontière du réel se faisant de plus en plus floue. La touche fantastique est pleinement assumée au cours du dénouement, je ne m’attendais franchement pas à ça dans un tel récit et même si une part de moi a perçu cela comme la chute d’un poil dans la soupe, une fois la surprise passée, j’ai trouvé le symbolisme plutôt intéressant.

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