Préférer l’hiver – Aurélie JEANNIN

⌧ FICHE TECHNIQUE ⌧

Titre : Préférer l’hiver
Auteur : Aurélie JEANNIN
Parution : 08 Janvier 2020
Éditeur : Harper Collins – Traversée
Pagination : 240
Prix : 17 €

⌧ SYNOPSIS ⌧

À distance du monde, une fille et sa mère, recluses dans une cabane en forêt, tentent de se relever des drames qui les ont frappées. Aux yeux de ceux qui peuplent la ville voisine, elles sont les perdues du coin. Pourtant, ces deux silencieuses se tiennent debout, explorent leur douleur et luttent, au cœur d’une Nature à la fois nourricière et cruelle et d’un hiver qui est bien plus qu’une saison : un écrin rugueux où vivre reste, au mépris du superflu, la seule chose qui compte.

Dans un rythme tendu et une langue concise et précise qui rend grâce à la Nature jusqu’à son extrémité la plus sauvage, Aurélie Jeannin, dont c’est le premier roman, signe un texte comme une mélancolie blanche, aussi puissant qu’envoûtant.

 

⌧ EXTRAIT ⌧

« Pour ses quarante ans, elle s’était fait tatouer dans le dos : Souvent conquise, jamais soumise. Elle m’avait dit : J’ai passé beaucoup de temps sur le dos. Et en souriant tristement, elle avait ajouté : J’ai été chevauchée mais jamais domptée. À ce sujet, j’avais toujours pensé qu’elle se trompait un peu. Elle avait été malmenée par un paquet de personnes, y compris ses parents qui n’avaient jamais supporté qu’elle devienne mère à quinze ans, comme si elle, elle avait pu. La méchanceté des parents a quelque chose d’unique. Elle s’immisce mieux que n’importe quelle autre sournoiserie. Elle s’infiltre dans vos failles d’enfant. Quand vous n’étiez pas solide. Elle se fortifie de vos doutes d’adolescent. Se nourrit de vos échecs. Elle s’abreuve de vos confidences désarmées. Elle prend sa source dans le ventre, lovée dans vos entrailles. Elle est puissante de vous-même, gorgée de la nourriture que vous avez puisée au sein de votre mère et dans la main de votre père. La méchanceté des parents est incommensurable. Elle explose votre cœur et pulvérise votre identité. Et elle le fait de façon tout à fait simple. C’est une méchanceté naturelle et facile. »

 

⌧ CHRONIQUE ⌧

Ce roman est unique en son genre et si je ne m’attendais pas à pareil récit en entamant ma lecture, je n’en ai pas été déçue un seul instant.

CONTEMPLATIF – La narratrice et sa mère se sont retirées dans l’ancienne demeure familiale au fond des bois. Disposant de peu de moyens financiers de par leur isolement volontaire, elles ont dû apprendre à vivre en autarcie, à se suffire à elles-mêmes. Cette logique leur permet de limiter les échanges avec l’extérieur à une poignée de voyages par an jusqu’à la ville la plus proche. Elles se fondent dans la nature, contemplent la faune et la flore, les maudissent parfois, mais toujours dans ce même état d’hébétude. Blessées par la violence du monde au-delà de toute résilience possible, elles parviennent néanmoins à retrouver une forme de paix, plongées dans un interminable hiver tout en espérant revoir les bourgeons du printemps. Elles sont chaque jour dans la survie, dans tout ce qu’elle a de plus austère et de rudimentaire. Manger, dormir, cultiver la terre, lire le soir au coin du feu comme seul caprice. En silence.

INTROSPECTIF – Dans ce roman, vous ne trouverez pas une seule ligne de dialogue. Ces deux femmes sont on ne peut plus taiseuses, comme si le simple fait de communiquer à l’oral risquait de leur faire perdre le peu de forces qu’elles ont pu rassembler au fil de leur convalescence. Les rares (et brefs) échanges sont d’ailleurs directement intégrés à la narration. La narratrice, toutefois, est loin d’être inactive et son esprit farouche a pris le relais sur son corps endormi. Elle analyse tout : ce qui l’a poussée à revenir en ces lieux, sa façon de percevoir sa mère ainsi que ceux qui ont partagé un temps leur quotidien, les principes de notre société et ce que cette dernière attend de chacun d’entre nous. Il y a des passages entiers qui m’ont ébranlée de la tête aux pieds tant ils résonnaient en moi. Je n’ai jamais eu autant envie de surligner des paragraphes de-ci de-là pour les retrouver facilement par la suite, et c’était malheureusement chose impossible puisque je l’ai lu en numérique. Tout ça pour dire qu’Aurélie Jeannin est assurément quelqu’un de très empathique, pour pouvoir décrire avec tant de précisions et de justesse les maux de ses personnages.

POÉTIQUE – Puisque l’on parle de l’autrice, je ne peux que souligner à quel point son écriture est travaillée, hypnotique, et par-dessus tout d’une grande poésie. Tout chante en elle et en ses mots, elle nous dépeint l’horreur dans un style qui préserve le détachement que la narratrice a instauré entre elle et le monde, sans jamais dénaturer la complexité de ses sentiments, de ses ressentis, de son vécu. En cela, je pense que l’œuvre ne sera pas forcément accessible au premier venu. Il faut fournir des efforts pour comprendre, assimiler et savourer pleinement cette lecture d’une densité et d’une richesse rares. La magie de ce roman se situe dans ce retour aux sources qu’il nous déclame, dans ce mélange d’espoir et de résignation, d’énergie et d’indolence, dans cette quête de soi et de l’autre. « Préférer l’hiver » nous parle de deux femmes qui ne peuvent plus, mais qui refusent pourtant d’abandonner.

Aurélie Jeannin prend son temps pour nous dépeindre l’intégralité de ce tableau familial. Elle distille les pans de vie passée avec parcimonie, pour exposer leur chagrin et nous aider à comprendre comment la narratrice et sa mère ont pu ainsi se couper de tout. Les drames qu’elles ont vécus, les deuils insupportables, les relations salvatrices ou destructrices. On se laisse porter par le flux de leurs cheminements intérieurs. On est loin de la mode des intrigues à rebondissements multiples et des cliffhangers qui vous chatouillent la tête, mais jamais je ne me suis ennuyée ici. Et c’est encore une fois l’Autre qui va enfoncer leur porte, au sens propre comme au figuré, et menacer de façon gratuite le fragile équilibre que les deux protagonistes avaient recouvré au milieu de nulle part.

Un huis-clos aussi atypique que fascinant, avec paradoxalement une fin ouverte. Comme un journal intime : désordonné, vulnérable, intransigeant,… écrit d’une main de maître par une autrice qui signe – comme le promet l’éditeur – un premier roman envoûtant, puissant et mélancolique.

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