Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes

PRÉSENTATION DU LIVRE

⌧ CARACTÉRISTIQUES ⌧
Titre français : Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes
Titre original : The Motion of the Body Through Space
Auteur : Lionel SHRIVER
Éditeur : Belfond
Parution : 19 Août 2021
Pagination : 384
Prix : 22 €
★ Littérature Contemporaine ★

« Un beau matin, Remington fait une annnoce à son épouse Serenata : cette année, il courra un marathon. Tiens donc ! Ce sexagénaire, certes encore fringant mais pour qui l’exercice s’est longtemps résumé à faire les quelques pas qui le séparaient de sa voiture, profiterait de sa retraite anticipée pour se mettre enfin au sport ? Un projet d’autant plus ironique que, dans le couple, la sportive a toujours été Serenata – avant ses problèmes de genoux.

Enfin, c’est certainement une passade.

Sauf que Remington s’accroche. Les week-ends sont désormais consacrés à l’entraînement, sous la houlette de Bambi, sa très sexy et très autoritaire coach. Et quand Remington envisage de participer à un triathlon, Serenata réalise que son mari, jadis débonnaire et vaguement empoté, a laissé place à un être arrogant et impitoyable.

Quoi, ce serait donc ça, vieillir à deux ? Finalement, qu’aime-t-on le plus, la personne ou les habitudes qu’on a créées ensemble ? A la retraite ou avant, le couple est-il soluble dans le sport ? »

EXTRAIT

CHRONIQUE

Toute sa vie, Serenata Alabaster n’a juré que par l’exercice physique. Toute petite déjà, elle s’inventait ses propres défis et n’avait de cesse de lever la barre plus haut entre deux sessions. Plus qu’une envie ou un plaisir, le sport est pour elle un besoin qu’elle a toujours refusé de négocier, une obligation. Même après s’être mariée et avoir eu deux enfants. Aujourd’hui, l’âge la rattrape. L’arthrose la torture de plus en plus, limitant le champ des possibles. Bientôt, il lui faudra accepter d’être opérée pour se faire poser une prothèse aux deux genoux. Autant dire que la pilule est dure à avaler. Comment pourra-t-elle vivre sans ce rituel qui a tenu une place aussi prépondérante dans son existence ? Comment accepter l’inéluctable alors qu’il semble décidé à la priver de ce qui fait de Serenata ce qu’elle est ? Ne pouvant choisir pire timing, c’est au même moment que son mari Remington, homme placide fraîchement retraité, décide de se mettre au marathon, lui qui n’a jamais été sportif pour un sou. Dès lors s’engage un bras de fer entre les deux conjoints.

De sa plume incisive, Lionel Shriver n’y va pas par quatre chemins. Elle n’hésite pas à camper des personnages antipathiques. D’un côté, on a Serenata qui ne cesse de déverser sa frustration sur son entourage face à ce corps qui l’abandonne. Elle est persuadée que le monde ne cesse de copier ce qu’elle met au point avec tant d’ardeur, se revendique précurseur dans bien des domaines et méprise la masse quand elle s’adonne aux mêmes loisirs qu’elle. De l’autre, Remington qui paraît cruel de choisir pile l’instant où sa femme ne peut plus pour commencer à faire de l’exercice, et dont le caractère change du tout au tout ce faisant. Bien que son intention ne soit pas de la narguer, la situation ne cesse de s’envenimer entre eux pour atteindre son paroxysme lorsque Remington s’entiche de sa jeune et fringante coach Bambi. Les membres du club de marathon qu’il a rejoint sont tout bonnement odieux. Ils se poussent à l’excellence au-delà du raisonnable, prennent de haut ceux qui flanchent ou se blessent, méprisent ceux qui ne font pas de sport. Il y a une forme d’élitisme malsain au sein de leur groupe et un manichéisme très marqué : soit on est avec eux, soit on est contre eux.

Dans ce roman, Lionel Shriver s’attaque clairement aux clubs de fitness, aux compétitions comme l’Iron Man et à cette culture du corps parfait. À l’esprit sain dans un corps sain. L’objectif est tel à atteindre pour Remington et sa bande qu’ils en oublient les limites de leur organisme et on appréhende le moment où il leur faudra payer l’addition de leur aveuglement. Le sport apparaît comme une religion, une secte à laquelle il faut adhérer pour être accepté et respecté.

Loin de se cantonner à ces quelques lignes, l’autrice multiplie les remises en question. Tout est passé au peigne fin : la Woke Generation qui prive Serenata et Remington de leurs emplois au bénéfice de minorités. Le féminisme aussi. Certains passages m’ont honnêtement fait grincer des dents. On est en pleine logique « OK Boomer », de ces jeunes qui ne comprennent rien à rien. Si certains débats se révèlent intéressants, ils sont de mon point de vue partiellement gâchés par un effet de redondance. Dans leur rancœur, le couple a tendance à tourner en rond, à s’attaquer sans cesse sur les mêmes points sans vraiment écouter l’autre. Le phrasé est parfois pompeux, comme s’ils récitaient une leçon par cœur plutôt que d’exposer un point de vue personnel. Leur mariage est mis à mal davantage par leur problème de communication que par la soudaine passion de Remington pour un sport que Serenata ne peut plus pratiquer.

Il faut ajouter à cela des personnages fortement stéréotypés : Lucinda Okonkwo est incompétente et ne doit sa promotion qu’à la couleur de sa peau comme le prouve son procès de l’absurde ; Bambi est une peste bodybuildée. Les enfants Alabaster ont quant à eux choisi deux extrêmes : Valeria est une grenouille de bénitier qui s’en remet à Dieu pour ne pas avoir à réfléchir ou assumer ses erreurs, tandis que son frère est un parasite indolent qui deale pour arrondir ses fins de mois. Certains personnages comme Tommy, Cherry et Ethan sont heureusement plus nuancés. Les autres, malheureusement, brillent par leur stupidité.

Étant donné la belle carrière de l’autrice et son superbe « Il faut qu’on parle de Kevin », il est évident que tout ceci relève de choix conscients, mais sa plume en devient corrosive et pousse donc vers des attitudes très tranchées. Avec Lionel Shriver, ça passe ou ça casse ! Loin d’apaiser le clivage entre baby boomers et progressistes qui a tendance à me fatiguer, elle jette de l’huile sur le feu du fossé générationnel. Si le fond m’avait de prime abord interpelée, la forme m’a laissée perplexe.

Une réflexion sur “Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes

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