Les Enfants du Silence – Lyn YEOWART

PRÉSENTATION DU LIVRE

⌧ CARACTÉRISTIQUES ⌧
Titre français : Les Enfants du Silence
Titre original : The Silent Listener
Autrice : Lyn YEOWART
Éditeur : Les Presses de la Cité
Parution : 16 Mars 2023
Pagination : 592
Prix : 24 €
★ Drame – Thriller ★

« 1983. Joy se tient devant le corps inanimé de son père. Lorsqu’elle a appris qu’il était mourant, la jeune femme est aussitôt retournée dans la ferme australienne qui l’a vue grandir. Pour enfin saisir sa chance. Pas de le revoir, mais de lui faire payer. Car George Henderson, chrétien dévoué et pilier de sa communauté, était aussi un monstre.
Hantée par les cris de son frère martyrisé et les mots sombres de sa sœur qui l’exhorte à se venger, Joy s’est mise en tête de faire éclater la vérité. Une vérité ancrée dans l’hiver de l’année 1960, celui où Wendy Boscombe, 9 ans, a disparu pour ne jamais réapparaître… »

EXTRAIT

CHRONIQUE

Suivant l’exemple de son frère aîné Mark, Joy a quitté le domaine familial au fin fond de l’Australie rurale sans un regard en arrière. Le corps meurtri de cicatrices et l’esprit fracturé par une vie de terreur, elle ne s’attendait pas à ce que le médecin de son père la contacte pour la rappeler à son chevet. Contre toute attente, Joy décide de coopérer et revient au pays. Elle veut se confronter une dernière fois à son bourreau dans l’espoir de se libérer de son emprise. Et réclamer vengeance, avant qu’il ne soit trop tard.

L’intrigue des « Enfants du Silence » se développe selon trois lignes temporelles. La rencontre des parents de Joy, George et Gwen Henderson, en 1942. Leur mariage, leur nouveau domicile conjugal, une vieille ferme délabrée avec laquelle George est convaincu de bien gagner sa vie, grâce à son troupeau de vaches laitières, et ce, en dépit des tickets de rationnements, en pleine Seconde Guerre Mondiale. La première raillerie aussi, le premier coup, le premier enfant… Lors de l’hiver 1960-1961, on découvre le quotidien des enfants Henderson, Mark, Ruth et Joy. Pour le père, tout est prétexte à battre ce premier avec une ceinture, si fort qu’il en portera à vie les séquelles. Une laiterie mal nettoyée, un veau mort, un chèque décevant en fin de mois. Mark ne connaît aucun répit et ses cris de douleur s’élèvent souvent dans la nuit tandis que Joy frémit dans son lit, convaincue que son tour viendra bientôt. Victime d’un mystérieux accident, seule Ruth semble immunisée contre l’ire paternelle. Le reste de l’histoire se déroule au début des années 80. Condamné à mort par différentes pathologies, George na plus que quelques semaines à vivre. Pourtant, il décède dans des circonstances suspectes qui amènent la police locale à mener l’enquête.

Chacune de ses trois lignes temporelles m’a fait sombrer avec Joy dans cette existence impossible, implacable. Tous ces non-dits, ces secrets, qui pourrissent à l’intérieur de ceux qui les portent. Toute cette violence non assumée, car si en privé, George est un monstre pour sa famille, en public, il se montre drôle, bienveillant et serviable. Il joue son rôle à merveille et se déchaîne quand ça lui chante. J’ai eu le cœur meurtri par Joy, cette gamine qui finit par comprendre au fil des ans que certains membres de leur communauté suspectent ce qui se passe derrière les murs de la ferme Henderson, et désespère de ne voir personne intervenir. Quand Wendy Boscombe, sa jeune amie de neuf ans, disparaît sans laisser de traces, elle voit le monde remuer ciel et terre pour la retrouver. En vain. Alors pourquoi ne fait-on rien pour elle, son frère, sa sœur, sa mère ? L’ « immonde petite pécheresse », comme George appelle souvent Joy, s’enlise à chaque page de ce roman à l’ambiance oppressante et poisseuse. Une ambiance maîtrisée d’une main de maître, puisqu’une fois le roman entamé, je n’ai pas pu le reposer avant de l’avoir terminé, à cinq heures du matin, après une nuit blanche.

Vous l’aurez compris : à travers toutes ces terribles épreuves qu’elle traverse, Joy est un personnage très touchant et attachant. J’ai adoré son petit côté fantasque qui se manifeste à travers une sorte de talent pour la synesthésie. Quand elle lit un mot, elle voit en réalité tout autre chose dans sa tête, comme « probablement » {une balle en caoutchouc qui rebondit sur les marches d’un escalier en bois}. Un talent qui lui sert d’échappatoire. Chaque soir, elle parcourt le dictionnaire que sa tante Rose lui a offert pour apprendre de nouveaux mots. On a envie de la sortir de cet enfer, de secouer les témoins silencieux, d’encourager la mère à se libérer de son époux plus que toxique, de protéger Mark aussi.

Les personnages secondaires ne sont pas moins intéressants, qu’il s’agisse du cordial Mr Larsen, qui s’emmêle dans son vocabulaire et passe de mystérieux coups de fil chez Joy, toujours armé d’une tablette de chocolat à lui faire déguster. De son fils Colin, avec son cœur en or et l’innocence de ceux qui ont manqué d’oxygène à la naissance. De la famille de Felicity, l’amie de Joy, à la vie si normale et pourtant si extraordinaire aux yeux de la fillette malmenée.

Poser un coup de cœur sur un roman pareil me paraîtrait déplacé tant il nous englue dans la misère de la condition humaine, mais le niveau est bel et bien là. Je ressors de cette lecture complètement chamboulée par tant d’injustice et de cruauté. À l’époque, la maltraitance n’était pas sujette au signalement et George a su jongler avec le système pour préserver sa réputation, n’offrant aucun répit ni aucune issue aux siens. Le rythme du roman est assez lent, comme pour mieux refléter la lourdeur du fardeau de Joy, le piège qui se referme inexorablement sur elle comme il s’est déjà refermé sur son frère. La douleur physique et psychologique est partout, poussant certains à commettre des gestes irréparables. Même si certains rebondissements peuvent paraître assez prévisibles, Lyn Yeowart a l’art de mettre en scène. Elle distille les informations avec parcimonie pour nous tenir en haleine d’un bout à l’autre, pour nous permettre de comprendre les rouages d’un mécanisme aussi infernal, pour nous surprendre malgré tout. Elle taille dans le vif, met ses personnages à nu devant nous et n’épargne pas même ses lecteurs. Dans un quotidien fait de boue, de pluies incessantes, de feux de bush, d’extrême pauvreté et de ragoût d’anguille, elle nous invite à démêler les mystères autour de deux morts, celle de Wendy Boscombe et de George Henderson.

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