Le Cirque des Merveilles – Elizabeth MacNEAL

PRÉSENTATION DU LIVRE

⌧ CARACTÉRISTIQUES ⌧
● Titre français : Le Cirque des Merveilles
● Titre original : Circus of Wonders
● Autrice : Elizabeth MacNEAL
● Éditeur : Pocket
● Parution : 04 Mai 2023
● Pagination : 504
● Prix : 9,50 €
★ Contemporaine ★

« Angleterre, 1866. Nell vit rejetée de tous à cause des taches de naissance qui constellent son corps. Lorsque le Cirque des Merveilles de Jasper Jupiter plante son chapiteau non loin de chez elle, son existence bascule : son père la vend au propriétaire comme nouveau phénomène de foire.
Nell, la femme-léopard, ne pensait pas trouver, sous ce chapiteau, une nouvelle famille… Mais contre toute attente, la jeune fille voit son horizon s’élargir. La voilà dans la lumière – un peu trop d’ailleurs, au goût du tyrannique Jasper… Car les monstres, parfois, ne sont pas ceux qu’on croit. »

EXTRAIT

CHRONIQUE

« Le Cirque des Merveilles », c’est l’histoire de Nell, une jeune fille méprisée et tenue à distance par son propre père, du seul fait des innombrables taches de naissance qui lui couvrent le visage et le corps tout entier. Ayant grandi dans la plus extrême pauvreté et se tuant à la tâche dans des champs de violettes pour gagner sa maigre pitance, Nell ne possède que deux rayons de soleil dans la vie : la mer voisine, et son frère aîné Charlie, qui jure de la garder à jamais auprès de lui. Promise à une existence de solitude, traitée comme une paria par son village, elle n’est malheureusement pas au bout de ses peines. Lorsque le Cirque des Merveilles de Jasper Jupiter plante sa tente dans la région le temps de quelques représentations, le père de Nell y voit une occasion unique de faire d’une pierre deux coups. En vendant sa fille à Jasper, non seulement il obtient un joli pécule, mais il se débarrasse aussi de ce qu’il estime n’être qu’un fardeau.

Mais c’est aussi l’histoire de deux frères, Jasper et Toby. Le premier a donné son nom au cirque itinérant qu’il gère d’une main ferme, payant généreusement ses artistes mais n’hésitant pas non plus à donner du fouet pour motiver les troupes. Homme de spectacle charismatique, orgueilleux et visionnaire, Jasper est pétri d’une ambition démesurée. Alors que son cirque ne se produit qu’en rase campagne, il se voit déjà entrer dans les bonnes grâces de la reine Victoria grâce à sa nouvelle recrue, Nell. Toby, son cadet, n’aurait pas pu être plus différent de lui. Massif, taciturne et solitaire, il suit Jasper comme son ombre, ne vit que pour lui, sans jamais se demander ce que lui-même aimerait réellement faire. Leur relation est terriblement ambivalente. Ne dit-on pas que de l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas ? Jasper a toujours dominé Toby qu’il traite comme un homme à tout faire, et se repaît de l’admiration sans faille que ce dernier lui voue. Une tendance qui est allée en grandissant à leur retour de la guerre de Crimée où un certain Dash semble avoir joué un rôle crucial.

Entre femme à barbe, cracheuse de feu, triplées, géante et naine, zèbres, éléphant, loup et lièvre, le Cirque des Merveilles est hétéroclite à bien des égards. D’abord révoltée d’être considérée comme une simple marchandise que l’on peut acquérir rubis sur l’ongle, la vision de Nell va progressivement se nuancer au contact de ses pairs et du timide Toby. De par ces liens qu’elle tisse, comme l’ébauche d’une famille qu’elle n’a jamais eue, Nell vient questionner le fragile équilibre entre Jasper et son frère. Quand le public la place en tête d’affiche, la jeune fille prend véritablement son envol, au propre comme au figuré. Adulée par tous, elle prend confiance en elle et ose enfin réclamer son dû. Au plus grand désagrément de Jasper qui se voit éclipsé par ses talents…

J’ai savouré ce roman du début à la fin. Elizabeth MacNeal a accompli un travail de documentation phénoménal. Si Nelly Moon et le cirque de Jasper sont de pures inventions, elle revient avec nous sur les grands noms de cette période où le peuple vouait une fascination morbide pour ces personnes au physique extraordinaire. Alors que de nos jours, l’élan du body positive ne suffit pas toujours à faire accepter l’être humain dans sa riche et merveilleuse différence, nous comprenons grâce aux faits réels présentés dans ce roman que nous avons tout de même progressé en la matière. Nell et ses pairs s’apparentaient davantage à des esclaves, alors comment en sont-ils venus à accepter leur condition ? Quels avantages y trouvaient-ils, alors qu’on les achetait et revendait de cirque en cirque au gré de leur notoriété ? Qu’on les exposait comme des bêtes curieuses, des monstres, qu’on touchait leur corps sans permission, qu’on se riait d’eux au quotidien, qu’on ne respectait même pas leurs dernières volontés ? Avec respect et humilité, l’autrice dépeint en détail les mœurs de l’époque et apporte des réponses à ces questions à travers le parcours de Nell, qui passera de l’anonymat le plus profond à la plus grande renommée.

Si ce roman est éprouvant à lire lorsque l’on possède un minimum d’empathie, il n’en est pas moins remarquable, ne serait-ce que pour sa valeur historique. La plume d’Elizabeth MacNeal nous immerge avec une facilité déconcertante dans l’Angleterre victorienne. Elle nous parle d’ascension et de chute, des monstres qui se tapissent parfois derrière des masques bien humains. Dans ce jeu de faux-semblants, le pouvoir va jongler entre plusieurs mains – celles de Nell, Jasper et Toby – en un ballet hypnotique teinté de mystères et de non-dits, dans un monde où rien n’est jamais acquis.