Dernier gueuleton avant la fin du monde

PRÉSENTATION DU LIVRE

« Dernier gueuleton avant la fin du monde »
Titre original : Profeten och idioten
Auteur : Jonas JONASSON
Éditeur : Les Presses de la Cité
Parution : 05 Octobre 2023
Pagination : 528
Prix : 23 €
CONTEMPORAINE

« Suède, été 2011. Petra, astrophysicienne autodidacte, a calculé que l’apocalypse surviendrait le 21 septembre, peu après 21 h 20. Un drôle de hasard met la prophétesse de malheur sur la route de Johan – un homme certes un peu long à la détente, mais qui n’a pas son pareil pour régaler ses hôtes – et d’Agnès, une septuagénaire qui a fait fortune sur les réseaux sociaux en tant que « jeune influenceuse ». Bien décidés à profiter du temps qu’il leur reste et à régler ce qui doit l’être, les trois compères entament ensemble un road trip en camping-car, au cours duquel ils croiseront les grands de ce monde… Que vous soyez collapsologue, amateur de bonne chère ou d’humour décapant, attachez vos ceintures, ça va secouer ! »

EXTRAIT

CHRONIQUE

Depuis tout petit, Johan joue sans le savoir le rôle de faire-valoir auprès de son frère aîné Fredrick, qui – en plus de le qualifier sans cesse de « Nigaud » – a fait de son cadet son esclave personnel. La trentaine passée, Johan continue de satisfaire le moindre de ses désirs sous le mépris cinglant et la critique gratuite, jusqu’à ce que les ambitions de Fredrick l’emportent vers l’Italie. Dans un dernier coup bas, il vend leur logement de luxe et ne jette que des miettes à son frère qui, dans son infinie candeur, se réjouit de son camping-car flambant neuf, loin de la valeur de l’héritage qui lui revenait pourtant de droit. Johan a des facultés intellectuelles limitées, certes, mais il a un cœur en or, ce que malheureusement trop de gens de nos jours perçoivent encore comme une autre forme de faiblesse.

Avec cette innocence trop grande pour un homme de son envergure, Johan traverse la ville au volant de sa nouvelle demeure après avoir déposé son frère à l’aéroport sous un dernier déluge de moqueries. Chagriné par cette solitude nouvelle à laquelle il n’est pas habitué, leur père l’ayant toujours tenu au loin et leur mère étant décédée, Johan rallie l’emplacement de camping au rabais que Fredrick a loué en son nom dans sa grande mansuétude… Ses talents au volant étant ce qu’ils sont, Johan emboutit une caravane et interrompt par ce biais la décision radicale que Petra avait prise sur l’emplacement voisin. Petra qui cherche à fuir une fin du monde qu’elle est la seule à avoir prophétisée. Du moins, à la date dont elle a convenu. Petra qui cherche à fuir le monde en général, en réalité, tant elle erre seule dans la vie.

Johan et Petra formeront d’entrée de jeu un duo des plus improbables, leur isolement se rejoignant dans des dialogues lunaires, délirants,… hilarants ! Et comme le veut le dicton « jamais deux sans trois », c’est tout naturellement qu’au fil de leurs (més)aventures d’une grande maladresse sociale, se joindra à eux une « jeune influenceuse » de soixante-quinze ans, Agnès. À partir de là, tout dérape : le trio infernal se lance dans une quête internationale pour un monde plus juste. Quitte à mourir avec le reste de la population dans onze jours, autant le faire avec panache. Le ton est ainsi donné !

Trois personnes sans permis dans un véhicule qui traversait l’Europe. Petra dut convenir qu’un verre au volant n’aggraverait pas beaucoup les choses.

De la Suède à l’Italie, en passant par l’Allemagne, Johan, Petra et Agnès s’embarquent dans un véritable road-trip et constituent pour notre plus grand plaisir une belle équipe de bras cassés ! Empreints de bonnes intentions, leur logique s’égare souvent sur des sentiers sans queue ni tête, avec toute une panoplie de conséquences qu’ils ne parviennent que très rarement à anticiper. Car Jonas Jonasson met bien entendu un point d’honneur à leur mettre des bâtons dans les roues afin de les faire évoluer. Entre un homme rabaissé toute sa vie qui se découvre pourtant des talents culinaires hors norme, une femme du même âge inadaptée socialement parlant, à la fois introvertie et extravertie, persuadée d’avoir raison là où tous les scientifiques du monde ont tort, et une veuve retraitée affranchie du carcan des anciennes mentalités quant au rôle de la femme dans la société, l’auteur tient une recette détonante qui ne manquera pas de mettre le feu aux poudres partout où ils passeront.

— J’ai lu qu’un Condorien adulte sur deux ne sait ni lire ni écrire.
Peut-être avait-elle parlé d’un ton un peu plus accusateur que voulu, car le président changea le sien.
— Sans doute est-ce aussi bien ? On écrit tellement de bêtises. À quoi servirait-il aux gens de les lire ?
Agnès enchaîna :
— Et la mortalité infantile est tout simplement terrifiante.
Cette fois le président fut franchement agacé.
— Tu devrais être soulagée, non ? Cela fait moins d’analphabètes.

Le lecteur suit leur périple et leurs mutiples gaffes avec un mélange d’amusement et de bienveillance, leur souhaite le meilleur tout en redoutant le pire, étant donné leur comportement inconséquent à tout égard. Un véritable voyage en Absurdie où il faut faire fi du plausible pour mieux se délecter au gré des recettes aux noms à rallonge de Johan. Comme le dit si bien Petra (tout en gardant en tête que c’est quelque part l’hôpital qui se moque de la charité), « Une conversation avec Agnès et Johan était aussi épuisante qu’une discussion avec un verre de lait et une assiette en carton. »

Une lecture sans prise de tête, de prime abord, qui prend néanmoins un virage à 90° dans la seconde partie, comme l’avaient présagé ces flashbacks en Russie en cinq parties. Des flashbacks trop lourds en informations, qui frôlent l’indigeste et ne se révèlent au final pas si indispensables que ça pour cerner le personnage d’Alek qui s’incrustera dans le paysage d’une manière inattendue. Joli retournement de situation, qui pour moi a toutefois été un peu terni par ces innombrables envolées lyriques géopolitiques. Entre Barack Obrama sans r et Winston Church sans ill, Johan perdra justement cette candeur caractéristique qui le rendait si attachant. Il rejoint ainsi tristement les comportements que l’auteur cherchait à dénoncer, et je n’ai donc pas su me réjouir de la conclusion de cette virée épique qui les a menés jusqu’en Afrique. Si le roman se veut déjanté, aussi hors-norme que ses têtes d’affiche, il a pris une tournure politique qui m’a un peu ennuyée par moment, je dois bien l’avouer, versant dans un certain cynisme, d’une morosité qui a cassé le but premier de Johan d’obtenir justice et dénaturé ce personnage que je ne suis toutefois pas près d’oublier !

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